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[ACTU CRFPA] CEDH, 11 juin 2020, Baldassi et autres c. France, n° 15271/16 et s.

Dernière mise à jour : 17 juil. 2020

Si la condamnation pénale des militants qui ont participé à la campagne BDS de boycott des produits importés d’Israël ne viole pas le principe de légalité criminelle, il constitue une atteinte condamnable à la la liberté d'expression.


9 juillet 2005 : À la suite de l’avis rendu par la Cour internationale de Justice selon lequel « l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international », des organisations non-gouvernementales palestiniennes ont initié une campagne internationale « Boycott, Désinvestissement et Sanctions » (« BDS »). Le « Collectif Palestine 68 » relaie localement cette campagne.


26 septembre 2009 : cinq des requérants ont participé à une action à l’intérieur d'un hypermarché, appelant au boycott des produits israéliens, organisée par le collectif Palestine 68. Ils ont exposé des produits qu’ils estimaient être d’origine israélienne dans trois caddies placés à la vue des clients et ont distribué des tracts.


22 mai 2010 : un événement similaire est organisé. dans le même hypermarché. Huit des requérants y prirent part. Les participants présentèrent en outre une pétition à la signature des clients de l’hypermarché invitant celui-ci à ne plus mettre en vente des produits importés d’Israël. Le procureur de la République de Colmar cita les requérants à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mulhouse pour avoir, entre autres, provoqué à la discrimination, délit prévu par l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881.


15 décembre 2011 : le tribunal correctionnel de Mulhouse a relaxé les requérants.


27 novembre 2013 : la Cour d’appel de Colmar a infirmé les jugements en ce qu’ils relaxaient les requérants. Elle les a déclarés coupables du délit de provocation à la discrimination.


20 octobre 2015 : la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par les requérants, qui invoquaient notamment la violation des articles 7 et 10 de la Convention. Elle a jugé que la cour d’appel avait justifié sa décision, dès lors qu’elle avait relevé, à bon droit, que les éléments constitutifs du délit prévu par l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 étaient réunis, et que l’exercice de la liberté d’expression, proclamée par l’article 10 de la Convention, pouvait être, en application du second alinéa de ce texte, soumis à des restrictions ou sanctions constituant, comme en l’espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui.


I - La non violation du principe de légalité criminelle


En l’espèce, la Cour observe que les requérants ont été condamnés sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, qui dispose que « ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ».


> Certes, l’alinéa 8 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 ne renvoie pas explicitement à la provocation à la discrimination économique. L’alinéa 9 vise expressément cette forme de provocation à la discrimination mais uniquement à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap, et non pas à raison de l’origine ou de l’appartenance à une nation.


> Néanmoins, la Cour constate qu’avant la date des faits de l’espèce, la Cour de cassation s’était prononcée dans le sens de l’application de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 en cas d’appel au boycott de produits importés d’Israël.


> Par conséquent, en l’état de la jurisprudence à l’époque des faits, les requérants pouvaient savoir qu’ils risquaient d’être condamnés sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 en raison de l’appel à boycott des produits importés d’Israël qu’ils ont proféré. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 7 de la Convention car la loi était prévisible.


Thématique sous jacente : le rôle du juge dans l'interprétation de la loi et dans sa prévisibilité.


II - La violation de la liberté d'expression


La Cour observe que l’appel au boycott combine l’expression d’une opinion protestataire et

l’incitation à un traitement différencié de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d’autrui. Or, l’appel à la discrimination relève de l’appel à l’intolérance, lequel, avec l’appel à la violence et l’appel à la haine, est l’une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression. Toutefois, inciter à traiter différemment ne revient pas nécessairement à inciter à discriminer.


En l'espèce, les requérants n’ont pas été condamnés pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites ou pour avoir appelé à la haine ou à la violence. Ils n’ont pas non plus été condamnés pour s’être montrés violents ou pour avoir causé des dégâts lors des événements des 26 septembre 2009 et 22 mai 2010. Il ressort du dossier qu’il n’y eut ni violence, ni dégât. L’hypermarché dans lequel les requérants ont mené leurs actions ne s’est pas constitué partie civile devant les juridictions internes. Les requérants ont été condamnés en raison de l’appel au boycott de produits en provenance d’Israël, pour avoir « provoqué à la discrimination », au sens de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


La Cour européenne a relevé que, tel qu’interprété et appliqué en l’espèce, le droit français interdit tout appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique, quels que soient la teneur de cet appel, ses motifs et les circonstances dans lequel il s’inscrit.


Elle a ensuite constaté que, statuant sur ce fondement juridique, la cour d’appel de Colmar n’a pas analysé les actes et propos poursuivis à la lumière de ces facteurs. Elle a conclu de manière générale que l’appel au boycott constituait une provocation à la discrimination, au sens de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, sur le fondement duquel les requérants étaient poursuivis, et qu’il « ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’expression ».


Ainsi, le juge interne n’a pas établi que la condamnation des requérants en raison de l’appel au boycott de produits en provenance d’Israël qu’ils ont lancé était nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre le but légitime poursuivi, à savoir la protection des droits d’autrui.


Pourtant, une motivation circonstanciée était d’autant plus essentielle en l’espèce qu’on se trouve dans un cas où l’article 10 de la Convention exige un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression. En effet, d’une part, les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, d’autre part, ces actions et ces propos relevaient de l’expression politique et militante.


La Cour a souligné à de nombreuses reprises que l’article 10 § 2 ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général.


Rappel de l'arrêt Perinçek : par nature, le discours politique est source de polémiques et il est souvent virulent. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance.


Déduction de la Cour : que la condamnation des requérants ne repose pas sur des motifs pertinents et suffisants. Elle n’est pas convaincue que le juge interne ait appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et se soit fondé sur une appréciation acceptable des faits. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention.

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